Une crise survient de façon inopinée, quand personne ne s’y attend ou n’est disponible pour y faire face. Et souvent, mais pas toujours (!), elle est nouvelle. D’où la nécessité de faire preuve d’humilité et d’empathie quoi qu’il arrive et tout au long de la crise.
1. La détection
Rien de plus désagréable pour un dirigeant que de subir l’assaut des journalistes sans savoir ce qui s’est passé voire d’apprendre qu’il s’est passé quelque chose.
Mais rien de plus dommageable que de donner l’impression que « tout va bien, madame la marquise », (cf. syndrome Mattéi). C’est bien un agent extérieur (journaliste, client, influenceur…) qui donne la mesure de la crise – telle qu’est perçue, et c’est à l’entreprise de se coller à cette perception.
L’erreur initiale du ministre de la santé lors de la canicule de 2003 fut de ne pas s’être dit, en l’absence d’éléments fiables de réponses, « si des journalistes prennent la peine de venir m’interviewer sur mon lieu de vacances, c’est que l’événement est plutôt exceptionnel ». Et d’adapter les éléments de langage au ton exceptionnel perçu des intervieweurs, même en l’absence de réponse concrète, ce qui pouvait s’expliquer compte tenu du côté justement exceptionnel de la situation : « la situation est hors norme, etc. ». Le pire fut de transmettre une attitude de déni, avec retard qui plus est.
Cela implique d’avoir mis en place des éléments de veille pour détecter les signaux et les analyser : tous les signaux ne terminent pas en crise. Mais toutes les crises n’ont pas forcément de signaux précurseurs. Ou de signaux correctement interprétés. Il faut donc aussi admettre et se préparer à faire face à une crise brutalement.
Il est recommandé, selon les moyens de l’entreprise, de mettre en place des outils de media intelligence (cf. blog de Rym Babouche « Communication et gestion de crise », 02 09 2016).
2. Ne jamais rester seul longtemps
Surtout en période creuse, ne jamais laisser seul longtemps en première ligne, celui qui prend de plein fouet la première salve, dès que la crise s’emballe (cf. point 3).
3. Prendre une seconde pour réfléchir avant d’agir
Cette seconde vous sauvera… Cela vaut pour le primo intervenant (porte-parole de permanence, community manager), au moment du déclenchement avéré de la crise. Mais aussi pour les dirigeants. Et cette seconde peut être utilisée à se souvenir du contenu de cet article ;o).
Dans le meilleur des cas, lorsque la culture de la communication de crise est bien établie dans l’entreprise, cela permet d’avoir des initiatives spontanées adéquates comme ce pilote d’Air France, alors de permanence lors de l’accident – sans victime – d’un B747 de la compagnie à Bombay en juin 1975, qui fit recouvrir immédiatement la dérive où apparaissait le célèbre logo avant l’arrivée des photographes.
4. Maîtriser tous les canaux de communication
Pas seulement digitaux et quitte à ne pas se servir de tous les canaux. L’idée est de les utiliser à bon escient et selon le format adapté pour chacun d’eux. Lorsqu’une crise survient, l’entreprise peut alors voir ce qui se passe sur chaque réseau et le cas échéant répondre. Lorsque le scandale du lait contaminé survient le 2 décembre 2017, Lactalis ouvre son compte Twitter le 11 janvier 2018. Or c’est sur Twitter que les crises sont les plus commentées (67%, source Visibrain 2017).
5. Le premier message type… mais adapté
Cela suppose d’avoir préparé le kit de survie. Si ce kit n’existe pas, rien d’étonnant, il semble difficile de mobiliser en interne sur un sujet en apparence anxiogène lorsque tout va bienµ.
Comme dans le e-marketing, l’entreprise doit adopter l’approche user centric : « comment le client interprètera cet événement ? ». Bien avant l’avènement du digital, ce fut l’approche de Perrier lors du « scandale » du benzène.
Qui doit parler au nom de l’entreprise ? L’officier de permanence. Le message doit reprendre le ton convenu en amont (Empathie et humilité : l’entreprise est aussi une victime pour les répercussions que cela a sur sa réputation) mais adapté aux circonstances. Une réponse automatique est tout aussi catastrophique, voire plus, qu’une absence de réponse, pour son côté robotique, inhumain ce qui va à l’encontre justement de l’effet recherché.
Dans l’idéal, c’est l’entreprise qui va communiquer en premier sur l’événement pour maîtriser l’angle comme l’explique Pascal Rangot. Mais c’est rarement le cas.
Le message peut être pré-formaté avec des blancs à remplir selon la situation rencontrée comme le propose Rym Babouche (cf. point 3).
6. Réunion interne & analyse de la situation
- Les faits bruts : chronologie des événements et intervenants.
- Recherche d’éléments sur la communication : qui sont les protagonistes, qui en parle, comment l’événement est-il perçu ?
- Adapter le ton et la réponse à cette perception, quitte à faire preuve de pédagogie mais avec finesse (et toujours humilité et empathie), si des contre-vérités apparaissent. La sensibilité des récepteurs du message peut être légitiment à fleur de peau : lors de l’accident du vol AF447 Rio-Paris, en dépit ce qui a été relaté par des journalistes et des « experts », ce n’est pas le gel des sondes Pitot qui fait tomber l’avion. L’attitude d’Air France ou d’Airbus à ce moment devait être de ne pas intervenir directement mais de laisser (ou de leur suggérer) les experts reconnus donner les éléments de réponse (cf. point 7).
Cette phase doit permettre d’évaluer le niveau de crise. Pour cela, on peut prendre la typologie en 3 niveaux (la crise éphémère, la crise de moyenne ampleur et la crise grave) présentée dans le livre « Bad Buzz » de Mounira Hamdi et Anthony Babkine (Ed. Eyrolles) ou télécharger le livre blanc « Bad Buzz 2017 » sur Visibrain.
7. La réponse circonstanciée et polymorphe
La réponse directe et l’image que l’entreprise montre d’elle-même.
Activation des leviers y compris des leviers moins glorieux mais efficaces : demande de contribution influenceurs ou clients ambassadeurs pour noyer le pois(s)on.
8. Adaptation aux nouveaux éléments
Surtout si la crise est grave, il faut s’attendre à de nouveaux éléments. Quels qu’ils soient, l’entreprise devra conserver le même type d’attitude énoncé en supra : humilité et empathie.
9. Le RETEX
Le retour d’expérience que les militaires préparent systématiquement en cours d’opération ou de crise et restituent très vite après le FINEX (fin d’opération) doit être organisé en entreprise. Et donc anticipé avant qu’une crise ne surgisse, lors des réunions de préparation de la communication de crise.
- Le bilan : une crise, surtout si elle est surmontée, permet de souder les équipes : on a vécu et surmonté une épreuve ensemble. Rien de mieux pour la cohésion.
- Ce qui ne tue pas rend plus fort : une crise est l’occasion de revoir certains process, l’organisation voire la stratégie de l’entreprise
- Ne pas oublier la communication a posteriori : en cas de mauvaise gestion, il est mal perçu de proclamer « on a été mauvais, mais on avait de bonnes raisons » (Cf. cas Mattéi ou cas Lactalis). Il faut donc rappeler les éléments de langage spécifiques à la crise qui vient d’avoir lieu.
Ne pas oublier et tenir compte que le digital a de la mémoire : il suffit de quelques clics pour retrouver par exemple les protagonistes à l’époque du buzz Free Vs. Bouygues et même ce qu’ils font aujourd’hui… Une attitude 3 Hum se révèle souvent payante sur la durée :
- humaine,
- humble
- et non dénuée d’humour – lorsque cela s’y prête !
10. Convaincre, et au premier chef, le dirigeant
Et ce dernier point n’est pas forcément le plus facile. Si le dirigeant n’est pas réceptif, il est toujours possible d’utiliser des biais : comité de direction, l’influence d’un actionnaire de référence, consultant, etc.
Pour les employés, il faut présenter le kit de la communication de crise comme un cadre rassurant.
Parce que la gestion de crise est un enjeu national, dont les causes relèvent parfois de l’intelligence économique (cf. cas Perrier), l’Etat tente également de sensibiliser les entreprise[7].
Et vous ? Avez-vous déjà été confronté dans votre entreprise à situation de crise ?
Si oui, comment l’entreprise a-t-elle vécu ce moment ?
Sinon, votre entreprise est-elle préparée ?
Exemples de communication de crise à lire
- Cf. Mémoire de DEA de Delphine Brard : La fabrique médiatique de la canicule d’août 2003
- comme problème public, 07 09 2004 p.49.
- 5 étapes pour planter sa communication de crise comme Lactalis, Mallory Lalanne, 26 01 2018, Chef d’entreprise, 26 01 2018
- Perrier : la mise en système médiatique d’une crise, Violaine Appel, Communication & Organisation, 1999
- Il faut être à l’origine de la boucle d’information, Pascal Rangot, Journal du Net, janvier 2005
- Canicule de 2003 : Mattéi se pose en « bouc émissaire« , Europe 1, 01 08 2013
- #LactalisRépond, Twitter 16 01 2018
- Préparation à la gestion de crise, Ministère de l’économie, juillet 2010
À propos : Antoine Thulin
Ancien officier dans la réserve opérationnelle et chef de cabinet d’un expert reconnu de l’aéronautique et des transports, Antoine a également participé aux début de fnac.com. Il est aujourd’hui le partenaire de la fondatrice d’un des premiers sites de vente de produits cosmétiques capillaires en charge du e-commerce et du digital.