Apparue cet été sur le réseau social TikTok, la tendance du « quiet quitting » défraye la chronique en France depuis plusieurs semaines. Ce phénomène dit de la « démission silencieuse » fait référence à la volonté de respecter purement et strictement sa fiche de poste plutôt que de se démener au travail ou de démissionner. Or, si ce parti pris qui toucherait particulièrement les jeunes générations fait tant parler de lui, c’est qu’il questionne en profondeur notre rapport au travail. Est-il toujours assumé comme normal dans nos sociétés d’aller au-delà de ses missions contractuelles au détriment de sa vie personnelle ? Rien n’est moins sûr aujourd’hui alors que le covid a bousculé notre rapport à la culture du présentéisme à grand renfort de confinements successifs.
Mais si comme toute crise, ce signal d’alarme ne représentait pas en réalité un tremplin pour le changement ? Alors que certains RH et cadres dirigeants s’alarment du fait que leurs salariés boudent les heures supplémentaires, d’autres y voient en effet une opportunité de challenger leur vision de l’engagement collaborateur pour une relation plus humaine et équilibrée au travail. On fait le point ensemble !
Le quiet quitting, véritable démission silencieuse ?
Si on se base sur sa traduction littérale, « quiet quitting » signifie « démission tranquille » ou encore « démission silencieuse ». Mais qu’est-ce que le quiet quitting exactement et quelles sont les sources de ce phénomène qui fait tant parler de lui ?
Le quiet quitting, c’est quoi au juste ?
Faire ni plus, ni moins les missions prévues par sa fiche de poste, sans zèle ni mauvaise volonté, tel est le principe du quiet quitting. Popularisé sur TikTok par Zaid Khan entre autres, le principe de cette tendance repose sur l’idée que nous ne sommes pas définis par notre travail et que personne ne devrait s’y investir au détriment de son bien-être et de sa santé mentale. Attention, il ne s’agit pas de ne rien faire et de saboter ainsi passivement le développement de son entreprise, mais tout simplement de se « désengager » de toute mission annexe perçue comme stressante ou superflue.
Mais pour comprendre le phénomène du quiet quitting, il faut avant tout le remettre dans un contexte sociétal bien particulier. Celui d’une ère post Covid qui a totalement remis en question notre relation au travail et qui a mené à une vague de démissions sans précédent. Le phénomène de la Grande Démission a en effet touché de plein fouet les Etats-Unis qui ont compté pas moins de 41 millions de démissions en 2021. En France, même si le mouvement prend moins d’ampleur, on enregistrait tout de même un nombre de démissions historiquement haut avec 520 000 démissions par trimestre début 2022, dont 470 000 démissions de CDI.
Il apparait ainsi que le quiet quitting s’inscrit comme le prolongement d’une remise en question du travail. D’une volonté profonde de recherche de sens. Il n’est plus question pour les salariés de perdre leur vie à la gagner ! Ils aspirent en effet avant tout à se réaliser en portant des projets auxquels ils croient, à profiter d’une vie qui, comme la pandémie nous l’a rappelé, peut être fragile. Et si ce n’est pas leur vie professionnelle qui comble ce besoin, ce sera leur vie personnelle qui y pourvoira. Quitte à ne pas s’engager dans leur entreprise plus que de nécessaire !
Le quiet quitting : démission ou prévention ?
Toute la polémique du quiet quitting repose sur la dénonciation d’un comportement « fainéant » ou encore « égoïste » de ses adeptes. Cependant, à l’heure où les chiffres du burn out explosent, et où 23% des salariés de moins de 30 ans jugent négativement leur santé mentale, on peut se demander si une attitude limitant le stress au travail n’est pas plutôt un bon moyen de se préserver. Par voie de conséquences, cette « stratégie » permettrait en effet de travailler moins mais mieux sur le long terme.
C’est en tout cas l’avis de Gaël Chatelain-Berry, spécialiste RH créateur du podcast Happy Work et auteur du « manager bienveillant 2.0 ». Ce dernier parle du quiet quitting comme d’une arme utilisée par les salariés pour se défendre du stress et du syndrome d’épuisement professionnel. Une remise en question s’impose alors sur l’emploi du terme de « démission » pour qualifier l’attitude d’un individu qui souhaite tout simplement s’épanouir sur le long terme à la fois professionnellement et personnellement…
Une recherche d’équilibre également incarnée par la tendance du télétravail
Vous l’aurez compris, le quiet quitting s’inscrit dans une tendance de fond qui tend à rééquilibrer les forces entre vie professionnelle et vie personnelle. Il devient alors le marqueur d’une époque plus que d’une génération.
Signal fort soulignant cette tendance, la popularisation du télétravail au sein des entreprises, symptôme d’une dénonciation croissante du présentéisme. Un présentéisme qui ne devrait en effet plus être synonyme de productivité ni encore moins d’engagement, alors que de nouveaux outils permettent d’être aussi, voire plus performants à distance sur de nombreuses tâches. Mais les mentalités ont la vie dure du côté employeur ! En témoigne le coup d’éclat d’Elon Musk qui a abruptement mis fin au télétravail chez Tesla. Pourtant, avec 53% des jeunes de 18 à 24 ans et 43% des moins de 35 ans qui déclarent envisager de quitter leur job si leur employeur leur imposait un retour 100% en présentiel, les lignes vont bel et bien devoir bouger.
Et si cette tendance de prise de distance des salariés avec leur entreprise ne devait pas alarmer sur une pratique à réprouver, mais plutôt souligner une attitude managériale qui n’est plus en phase avec un monde nouveau ?
Le quiet quitting, une opportunité pour les entreprises de repenser l’engagement collaborateur
On peut questionner la terminologie du quiet quitting, s’interroger sur les origines de cette tendance, remettre en question son bien-fondé, être pour, contre, exaspéré, indifférent… Mais on ne peut pas nier que si elle fait tant réagir, c’est qu’elle nous donne un signal fort avec lequel l’entreprise va devoir composer. Il s’agit alors pour les managers et cadres dirigeants de faire preuve de curiosité plutôt que de condamner le désengagement des collaborateurs. En effet, il faut comprendre que les facteurs de motivation et d’engagement puissent être fluctuants. Ils sont impactés par le cycle de vie d’une personne et par son contexte sociétal. Tout le défi consiste alors à renouer avec des leviers de motivation en phase avec les attentes de ses employés, et avec son époque.
Vers un nouveau modèle managérial
Selon le baromètre organisations hybrides et télétravail 2022 de Malakoff Humanis, 67 % des salariés sont en attente d’un forme de management davantage axée sur la confiance, l’encouragement, la prise d’initiatives et le droit à l’erreur. En bref l’heure n’est plus au contrôle et à la mise en compétition des ressources, mais à une collaboration plus horizontale, plus responsabilisante. Un chiffre qui contraste avec la réalité du monde de l’entreprise, puisque d’après la même étude, seulement 36 % des managers auraient fait évoluer leurs pratiques managériales suite à la crise sanitaire.
Ce besoin de liberté et de confiance peut sembler paradoxal si on cherche à contrer l’effet « service minimum » du quiet quitting. Et pourtant, sur contrôler les activités d’un employé peut avoir l’effet pervers de lui donner le sentiment de n’être qu’un exécutant. Il ne cherchera ainsi pas à réfléchir à comment améliorer des process, innover dans ses missions, ou être disruptif. Si sa fiche de route est déjà toute tracée, et ne lui donne pas de vision sur comment il s’inscrit sur le projet global de l’entreprise, il n’aura alors que peu d’intérêt à s’engager au-delà.
C’est en donnant de la latitude à un collaborateur tout en lui donnant une vision claire de ses objectifs à long terme qu’on peut arriver à le stimuler, et ainsi à donner envie de s’engager davantage dans ses missions. De cette manière, il n’aura pas exécuté une multitude de micro-tâches vides de sens, mais aura contribué personnellement à un projet commun en se servant pleinement de ses compétences.
Une marque employeur plus forte et vectrice de sens au travail
Les missions individuelles d’un employé ne sont pas les seules à être vectrices de sens au travail. En effet, une marque employeur forte portée par des valeurs claires permet de développer un vrai sentiment d’appartenance. Ainsi, un employé qui se reconnait dans le message et les actions soutenues par son entreprise aura plus tendance à s’engager à ses côtés. Il pourra être fier d’appartenir à un groupe qui partage des valeurs communes.
On comprend alors toute la portée que peut avoir un marketing RH efficace. Non seulement en termes d’attractivité, mais aussi de fidélisation de ses employés. Mais attention au retour de bâton, marketing ne devrait pas être synonyme de duperie ! Si les valeurs annoncées ne sont en fait qu’un vernis bien brillant et que les actions de l’entreprise ne sont pas en phase avec elles dans la réalité, le désenchantement des collaborateurs n’en sera que plus fort.
Le développement professionnel et des compétences au cœur de l’engagement collaborateur
L’accès à la formation est un puissant levier d’engagement collaborateur. En effet, si accompagner ses salariés dans le développement de leurs compétences peut avoir un impact positif évident sur l’entreprise, il incarne aussi une volonté de promouvoir leur évolution à un niveau plus personnel.
Former un collaborateur, c’est lui envoyer le message clair qu’il est important pour le développement du projet de l’entreprise, et que ses compétences en sont un maillon essentiel. Plus que de nouvelles compétences, c’est ainsi un sentiment de reconnaissance et une confiance mutuelle renouvelée qui sont à la clé !
En conclusion : le quiet quitting, un nouvel anglicisme compliqué pour décrire quelque chose de simple
À l’image de la démission silencieuse, on peut se poser la question de la pertinence de théoriser des concepts alambiqués pour enfoncer des portes ouvertes. Le quiet quitting est en effet avant tout synonyme de « faire son travail ». Ce qui n’a ainsi rien de nouveau en soi. De la même manière, son petit frère le quiet firing ne décrit rien de plus que la bonne vieille « mise au placard ». À ce compte-là, autant lancer également une polémique sur les adeptes du « loud working ». Vous savez, ces collègues peu productifs, mais qui ne manquent jamais de valoriser la moindre de leurs actions en mettant inutilement toute l’entreprise en copie !
Trêve de plaisanterie, le quiet quitting divise, et l’émotion qu’il suscite devrait en ce sens attirer l’attention des entreprises. Action égoïste pour les uns, attitude de préservation saine pour les autres… ce phénomène aura dans tous les cas eu le mérite de mettre le sujet de l’engagement collaborateur sur le devant de l’actualité. Et si on doit passer par un nouvel anglicisme pour ouvrir la porte à une vraie réflexion sur la place du travail dans notre société, et ainsi dégager la voie vers une relation plus équilibrée entre entreprises et salariés… let’s go !