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Digitalisation des enchères : entre raison et émotion

Aujourd’hui, tout est mis en œuvre pour enchérir avec une facilité déconcertante. Acquérir un objet d’art n’est plus qu’une question de choix et de budget. L’arrivée du numérique dans ce milieu ancestral ne doit pas pour autant bouleverser les codes comportementaux.

Les ventes live et online incontournables

De l’avis de tous les professionnels du secteur, les ventes en « live » sont devenues incontournables. Elles sont « l’avenir de la profession ». Il est totalement impensable d’organiser une vente de prestige sans la diffuser sur son propre site internet ou via des plateformes (telles Interencheres-live.com, thesaleroom.com, Drouotlive.com,…).

Pourquoi ?

  • Parce qu’elles permettent de donner plus de visibilité à une clientèle moins locale. ( A titre d’exemple, en 2015, Drouot réalisait 50% du montant de ses adjudications auprès d’acheteurs internationaux. Et ce chiffre n’a cessé d’augmenter depuis. CF Bilan Drouot 2017
  • Parce qu’il est ainsi plus facile de toucher un public plus jeune, qui a grandi aux côtés d’Ebay et ne s’étonne pas de pouvoir acheter des produits de luxe à partir d’images sur Instagram ou Facebook (grâce à Soldsie et Like2buy)
  • Parce qu’il est plus tendance d’être connecté en 2018. Enchérir via un canal digital a pour certains un côté plus ludique indéniable.
  • Parce qu’il est possible de participer de n’importe où via plusieurs supports (téléphone portable, tablette, PC), à l’image de Christie’s qui s’assure une présence dans 46 pays grâce au numérique alors qu’elle officie avec seulement 10 salles de ventes (Londres, New York, Paris, Genève, Milan, Amsterdam, Dubaï, Zürich, Hong Kong, Shanghai)
  • Parce qu’elles permettent de pallier à la désertification des salles des ventes. A l’exception des grandes maisons et des ventes exceptionnelles ( comme celle des Hospices de Beaune le 3ième Dimanche de Novembre), les salles des ventes ont une fâcheuse tendance à se vider.
  • Parce qu’il est facile de s’inscrire et rapide d’enchérir. Seuls quelques clics suffisent.
  • Et enfin parce qu’il permet à ceux qui n’osent pas se rendre en salle d’assouvir des envies réprimées.

Les contre-parties

En contrepartie, le live a changé le rythme des enchères, l’attention des Commissaires-priseurs, la notion de temps . Plutôt contradictoire pour un moyen plus rapide ! Car il faut désormais laisser le temps aux internautes et autres mobinautes (souvent nombreux derrière leurs écrans) d’enchérir à distance…au plus grand dam des personnes présentes en salle…qui ont parfois le sentiment d’être déconsidérées. Les ventes paraissent souvent plus hachées et plus « froides ». Il faut savoir ménager la chèvre et le chou, sa clientèle historique et ses nouvelles recrues.

Les nouveaux enchérisseurs sont aussi devenus plus volatiles. La fidélité envers une seule Maison de ventes n’a plus de sens. Ils papillonnent de ventes en ventes à la recherche de nouveaux objets ou de collections plus précises. Il suffit de rentrer ses mots-clefs dans les moteurs de recherche sur les plateformes digitales pour arriver directement sur l’œuvre voulue.

Le « service après-vente » est devenu plus compliqué à gérer. L’acheminement des objets achetés vers des destinations plus lointaines peut être source de détérioration. Les délais de livraison, les conditionnements, les changements de températures sont des paramètres qui échappent totalement aux Maisons de ventes qui doivent déléguer toute une partie de la logistique. Et avoir à gérer des retours d’insatisfaction.

Sans oublier les difficultés de règlements, les « mauvais payeurs » ou les « flambeurs », qui n’ont aucun scrupule à enchérir sur leur clavier, sans états d’âme, et générer de folles enchères. Pour le plaisir de « jouer »…

Les limites du tout-digital

N’oublions pas que les salles des ventes sont des lieux incontournables d’échanges, de connaissances, de beautés artistiques et de culture. Elles font partie intégrante de notre patrimoine et fascinent sociologues et ethnologues.
Rentrer dans une salle des ventes, c’est comme se rendre à un spectacle, par curiosité, sans avoir toujours l’intention de participer aux enchères. On y va pour l’ambiance, pour ressentir l’adrénaline monter quand on lève le doigt, pour sentir battre son cœur quand le voisin du 2ième rang surenchérit et vous fait perdre tout espoir, pour voir les regards se croiser, les visages se fermer ou au contraire rayonner…Et ces émotions-là, ces sensations, ne se ressentent pas derrière un écran, dans son canapé. Il est mensonger de jouer sur les sentiments et d’affirmer le contraire.

Alors oui, ce n’est pas parce que le digital facilite tous nos désirs d’acquisition qu’il ne faut plus occuper ces salles pleines d’histoires et de personnages hauts en couleurs, à l’image des « Crieurs ». Ces hommes qui se promènent dans les allées de l’assistance et « crient » les enchères portées. Ils reçoivent de l’acheteur ses papiers d’identité et le paiement, en échange du lot ou de l’étiquette permettant son retrait. Ces voix de ténor font souvent le spectacle (à défaut y contribuent) et forment parfois des duos riches de complicité avec les Commissaires-priseurs, participant ainsi grandement à l’animation des ventes. Ils assurent le lien entre la salle et le commissaire-priseur. Mais au fait…les voyez-vous arpenter les salles lors des ventes en live ? Entendez-vous leurs boutades ? Voyez-vous leurs regards malins échangés avec les habitués ? Que nenni…Impossible : lors d’une vente en live, la caméra est fixe, rivée sur le devant de la scène…et souvent mal placée !

Et puis, il faut aussi se déplacer car le plaisir d’un achat, c’est aussi un plaisir sensoriel, qui commence dès le début de l’exposition. Toucher, regarder, s’émerveiller, pouvoir tenir entre ses mains l’espace d’un instant un objet tant convoité ne remplacera jamais les photos mises en ligne. Souvent sublimes, prises sous plusieurs angles, artistiques…mais figées…Pas de vision sur le futur tempo de la vente et les acheteurs potentiels…La perception des émotions à la vision proche d’une œuvre d’art ne sera jamais la même que celle à travers un écran d’ordinateur. L’art se perçoit, se ressent, s’apprivoise.

Le rôle du commissaire-priseur

C’est au cœur de ce théâtre de passions et de dilemmes qu’évolue le personnage central : le Commissaire-priseur. Désormais, lorsqu’il entre en scène, il ne connaît que 50% du scénario à venir. Il a pris connaissance des ordres d’achat et des demandes de lignes téléphoniques. Il reconnaît quelques visages dans l’assistance mais ne sait pas qui se trouve derrière son écran, combien ils sont à vouloir enchérir…L’adrénaline, elle est finalement pour lui…

Officier ministériel, le maître des lieux garde à ce jour toute son aura et sa prestance. Une grande connaissance de l’art, un bon contact avec le public (et ses experts) et le sens de la mise en scène. Pleins feux sur l’homme clé de la vente.

Chaque semaine, Catawiki vend en moyenne 15000 lots dont des objets d’art et annonce vouloir recruter des Commissaires-priseurs (entre autres) pour soutenir sa forte croissance. Une profession « en mutation »…vers le e-commerce ?

A lire : La digitalisation du métier de commissaire-priseur est en marche

À propos : Karine BERTHOUMEYRIE

Spécialiste de rien et curieuse de tout, en quête perpétuelle de challenge et de nouveautés, forte d’une vie riche en expériences variées et rencontres décisives, et jusqu’à peu totalement réfractaire aux médias sociaux, elle découvre avec avidité et de plus en plus d’addiction le vaste monde du multi-média.

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