Formation

La formation : un enjeu clé dans la transformation digitale des entreprises

Dans une étude intitulée « L’utilité de la formation pro face à la révolution digitale », les économistes Nathalie Chusseau et Jacques Pelletan de l’Institut Sapiens démontrent les impacts économiques positifs et l’efficacité de l’accès individuel à une formation professionnelle tout au long de la vie. Ces travaux s’inscrivent dans une série d’études menées par la Chaire « Transitions démographiques, Transitions économiques » (TDTE) axées sur la mise en place d’un dispositif de formation spécifique : une année de formation universelle à laquelle pourrait recourir toute personne active entre 16 et 64 ans, incluant une prise en charge du salaire.

La formation, un enjeu clé

Deux raisons majeures :

  • l’espérance de vie s’allonge et permet d’offrir de potentielles reconversions professionnelles pour les personnes actives curieuses de découvrir de nouveaux horizons ;
  • les mutations économiques liées à la transformation digitale des organisations exigent de nouvelles compétences à acquérir pour s’adapter aux nouveaux besoins des entreprises.

Cette année de formation universelle promeut le « droit à une deuxième chance » professionnelle.  Quatre publics principaux sont visés par ce dispositif :   

  • les jeunes populations qui ont décroché de leurs études et qui ont besoin d’être accompagnés dans leur réinsertion sur le marché du travail
  • les salariés se retrouvant au chômages suite à une transformation technologique, et une adaptation de leurs qualifications aux nouveaux besoins de l’organisation, ou en raison d’une concurrence accrue au sein de leur secteur
  • des actifs dont les compétences ont été automatisées ou qui ne sont plus requis en raison des évolutions technologiques et organisationnelles dans l’industrie comme dans le tertiaire
  • et enfin, les salariés qui ne tirent plus la satisfaction de leur emploi et qui souhaitent se reconvertir dans une nouvelle activité professionnelle.
les enjeux de la formation

Ce dispositif s’inscrirait dans le compte personnel d’activité (CPA) qui inclut les trois comptes suivants :

Un marché du travail en pleine transformation digitale et toujours plus complexe

À l’ère des mutations économiques, organisationnelles et technologiques, on parle d’une quatrième révolution technologique 4.0 : l’automatisation et la robotisation du travail venant impacter une partie de la population. La main d’œuvre peu qualifiée ainsi que de nombreux cadres du secteur industriel et tertiaire vont être touchés par une obsolescence partielle de leurs savoirs-faire.

robotisation des métiers

Une littérature grise riche d’études et de travaux analyse les perspectives d’un futur monde du travail automatisé, et de sa vulnérabilité face au 4.0. Deux chercheurs américains, Frey et Osborne, ont passé en revue 702 professions au regard de leur automatisation. Selon les études, utilisant des méthodes probabilistes analogues, on estime qu’entre 42 % des emplois seraient fortement automatisables (étude du cabinet Roland Berger, 2014) et que 85% des emplois en 2030 n’existent pas encore aujourd’hui (Rapport de Dell et de l’« Industrie du Futur », 2017).

Depuis les années 1980, 64% des emplois supprimés sont dus aux gains de productivité résultants de la robotisation, puis de l’automatisation des tâches aujourd’hui.

Ces évolutions, on les observe aujourd’hui dans tous les secteurs, aucune organisation n’échappe à la transformation digitale. L’industrie 4.0 réorganise les chaînes de production en faisant converger les objets connectés (Internet des objets, API, etc.) et le digital dans les produits et services industriels. Pareillement, les conseillers financiers sont progressivement remplacés par des robo-advisors qui gèrent de manière automatisée les portefeuilles d’actifs. Toutefois, il ne faut pas surestimer cette menace que fait peser l’automatisation des emplois.

Selon le rapport « Automatisation, Numérisation et Emploi » du Conseil d’orientation pour l’emploi (COE) de janvier 2017, 10% des emplois français sont « exposés ». C’est ce qu’on appelle le « choc technologique » : ce sont les métiers devenus vulnérables du fait des tâches manuelles répétitives ou à faible valeur ajoutée qu’ils comportent. En revanche, sans disparaître, près de 50% des fonctions-métiers sont vouées à être transformées, leur « contenu étant susceptible d’évoluer ». Pour autant, il ne faut pas craindre l’avènement de la machine, le robot ou l’intelligence artificielle est là pour aider le travailleur – les robots collaboratifs ou « cobots » – en l’ « augmentant » dans sa capacité de réflexion et en le soulageant des tâches les plus répétitives.

Ces changements font partie des cycles de « destruction créatrice » schumpetériens qui ont marqué l’organisation du travail les siècles derniers. Au cours des première (la mécanisation avec notamment la machine à vapeur au XVIIIème siècle), seconde (l’électricité, le gaz et le pétrole au XIXème siècle) et troisième révolution industrielles (Internet au XXème siècle dès 1969), des secteurs d’activité ont disparu pour laisser place à de nouvelles activités économiques.

Se former pour devenir « polycompétent » et s’adapter au changement

Comment accompagner les salariés dans cette conduite du changement à laquelle sont soumises les entreprises ? Cela passe par une amélioration de la performance du système de formation français et une meilleure compréhension du besoin de compétences dont les entreprises ont besoin afin qu’elles gagnent en productivité.

soutenir les salariés dans la formation
Business Team Training Listening Meeting Concept

La formation continue est au service de l’épanouissement personnel et de toute réussite professionnelle. En apprenant toujours plus, en développant la créativité, la capacité d’adaptation et l’autonomie, l’intégration est facilitée quel que soit l’environnement de travail même lorsque le salarié se retrouve hors de sa zone de confort. L’objectif pour le collaborateur est de devenir polycompétentet un rouage indispensable au sein de son entreprise. Ainsi, la formation professionnelle permet au salarié de monter en compétences afin de pouvoir se préparer à des changements technologiques non-anticipés et d’éviter le chômage en gagnant en employabilité en étant capable d’évoluer de façon autonome et innovante.

En outre du renforcement de la politique de formation professionnelle, il ne faut pas négliger la place de plus en plus important que prennent les compétences humaines (ou « soft skills ») mettant en avant la personnalité du collaborateur ou encore son intelligence émotionnelle. Alors qu’on parle en permanence de « montée en compétences », ce n’est plus forcément le savoir-faire mais plutôt le savoir-être qui importe aujourd’hui.

En effet, à l’heure de l’obsolescence des connaissances techniques, les compétences comportementales deviennent essentielles : le collaborateur doit pouvoir exprimer sa créativité, son intelligence sociale en montant qu’il peut facilement s’intégrer au sein des équipes. Les qualités non-professionnelles suscitent un vif intérêt de la part des entreprises qui recherchent de plus en plus des personnalités ayant des profils multi-facettes ou des parcours atypiques]. D’ailleurs, ce sont les tâches créatives, artistiques et fondées sur l’ingénierie ou l’innovation qui sont les mieux préservées de l’automatisation.

Un accès à la formation professionnelle et un bassin de compétences moyen français inférieur à celui de l’OCDE

Comme le souligne le bilan du premier rapport du Conseil National de Productivité (CNP) d’avril 2019, la France accuse encore un retard non-négligeable d’un point de vue compétitif. Dans un contexte de ralentissement de la productivité dans les pays développés, la France – comme les autres pays de l’OCDE – subit deux tendances économiques générales depuis les années 1990 : l’orientation de la structure productive vers des secteurs à faible productivité comme les services et l’essoufflement de la participation des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) dans cette productivité.

Pour pallier ces évolutions structurelles, les États et les entreprises doivent miser sur la formation à de nouvelles compétences liées aux évolutions technologiques. On note des problèmes spécifiques à la France, notamment une moyenne de l’ensemble des compétences des actifs adultes inférieure à celle des autres pays de l’OCDE. En effet, les chiffres parlent d’eux-mêmes : on compte encore seulement 31% des adultes français souffrent d’un manque de compétences en numératie et/ou littératie, soit cinq points de plus que la moyenne des pays de l’OCDE (26%).

En outre, les Français ont également un accès à la formation professionnelle inférieure à la moyenne de l’OCDE : 36% des adultes recourent à une formation chaque année, contre 53% en Allemagne et 56% au Royaume-Uni. Et les actifs qui en bénéficient ne sont pas ceux qui en ont le plus besoin comme les personnes peu qualifiées et les seniors. En effet, ces deux catégories sociales sont pourtant les plus vulnérables face au chômage.

La formation professionnelle et la lutte contre la précarité : des enjeux économiques clés pour la France

La formation professionnelle est inscrite dans l’agenda politique présidentiel comme le souligne l’annonce faite par le Président Emmanuel Macron de consacrer un budget de 15 milliards d’euros au Plan d’investissement dans les compétences en octobre 2018. Un an plus tard, le président de la République a annoncé une augmentation de 15% du budget pour l’insertion par l’activité économique (IAE), devant les salariés d’Ateliers sans frontières, un chantier dédié aux activités de recyclage et de logistique qui a permis de réinsérer 120 personnes en situation de précarité.

Emmanuel Macron face à la formation

Ces investissements dans les plans d’action peuvent aller encore plus loin à l’instar du projet de mise en place d’une année de formation universelle. Les chiffres mis en perspective par l’étude sur l’utilité de la formation professionnelle parlent d’eux-mêmes : la formation de 10% de la population active française, soit 3 millions de personnes sur une durée de 6 mois permettrait d’obtenir une augmentation de 2,5% du PIB. Et si on étendait cette durée de formation sur 1 an, le PIB connaîtrait une croissance de 3,4%, due aux gains en amélioration du capital humain et en productivité.

Les impacts socio-économiques de l’accès à une année de formation professionnelle seraient majeurs. Dans le cadre des personnes sorties tôt du système scolaire ou peu qualifiées, catégorisées de « décrocheur » dans la typologie utilisée, leur revenu serait supérieur de 6,56% au statu quo ante selon le scénario prévu par l’étude. De plus, leur descendance serait amenée à bénéficier plus facilement d’une mobilité sociale, et ce dans les deux générations qui suivent.

Pour pouvoir former 3 millions de personnes, coût évalué à 16 milliards d’euros annuels, les économistes Chusseau et Pelletan estiment deux sources principales de financement :

  • 8 milliards d’euros proviendraient de Pôle Emploi, le remplacement à 100% des revenus serait associé alors à une obligation de formation à temps plein durant 6 mois
  • les 8 milliards d’euros restants seraient issus d’un redéploiement des crédits de la formation professionnelle qui ne profitent aujourd’hui que de manière marginale aux demandeurs d’emploi.

Ces coûts peuvent être lissés sur l’étendue d’un quinquennat présidentiel et trouver des gains importants au-delà de la haute nécessité d’une formation professionnelle soutenue :  ils pourraient, sur une longue période, atteindre jusqu’à 86 milliards d’euros. Le cabinet Roland Berger estime quant à lui une hausse de la productivité liée à la numérisation de l’économie pouvant générer 30 milliards d’euros de recettes publiques additionnelles et environ 30 milliards d’euros d’investissements privés supplémentaires.

En attendant ce projet d’année de formation universelle, des mesures gouvernementales ont d’ores et déjà été prises pour rendre la formation professionnelle plus accessible et efficace. Parmi celles-ci, il faut noter une réforme actuelle notable du Compte personnel de formation (CPF).

La formation à l’ère du 2.0 : le digital face aux fractures sociales et géographiques

Selon les Perspectives de l’OCDE sur les compétences 2019, les salariés doivent avant tout s’orienter vers l’apprentissage des compétences nécessaires pour évoluer dans le monde numérique. L’OCDE préconise un programme d’action global et coordonné au niveau des pays développés qui doit être soutenu par des politiques nationales en faveur des compétences numériques. Les politiques nationales peuvent s’appuyer sur de nouveaux modes d’apprentissage numériques à distance afin d’atténuer les ségrégations d’ordre géographique de la transformation numérique.

se former grâce au digital learning

Parmi les formations digitales phares, on retrouve les Massive Open Online Courses (MOOCs), des cours en ligne gratuits qui continuent leur essor.  Les MOOCs permettant aux jeunes et aux travailleurs de suivre des formations supérieures en leur offrant des ressources pédagogiques de qualité. En s’appuyant sur un aspect collaboratif, facile d’accès et bénéficiant d’un catalogue pléthorique, 10 000 cours diffusés dans le monde et plus d’un cours créé chaque jour en France, les MOOCs rencontrent un grand succès public.

En s’appuyant sur des salariés toujours plus connectés et mobiles, le « E-learning » ou « Digital learning » permet de mettre la technologie au service de l’expérience humaine en revenant à une formation présentielle et augmentée. L’objectif de ces nouvelles formations professionnelles est de pouvoir combiner digital et présentiel, dans une démarche hybride de blended-learning. Une autre tendance de l’ingénierie pédagogique se renforce en France, celle du « Mobile Learning » avec des formats courts et personnalisables. La formation mobile profite de la gamification, avec des jeux ou encore des tutoriels vidéo, afin d’améliorer l’apprentissage de manière ludique.

Conclusion

Après avoir pu observer les gains qualitatifs – en capital humain – et quantitatifs – en termes de productivité – d’une extension de la politique de formation professionnelle, il s’agit désormais de pouvoir la rendre attractive auprès des salariés. Les modes d’apprentissage évoluent et doivent aujourd’hui répondre aux nouveaux usages et être accessibles sur les dispositifs digitaux (ordinateurs, tablettes, smartphones, etc.). Ils doivent pouvoir saisir les opportunités qui leur sont offertes à travers les catalogues de formation afin qu’ils puissent rebondir ou se reconvertir professionnellement. Les pouvoirs publics doivent de leur côté s’engager dans une stratégie volontariste pour accompagner les salariés dans leur adaptation aux transformations des organisations dues à la digitalisation de l’économie en cours.

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